Pas de repos pour les braves … ni pour les innocents
Près de 70% des participants à une étude de psychologie cognitive ont avoué un acte qu’ils n’avaient pas commis, après une nuit blanche.
Même si l’aveu est élément de preuves parmi d’autres, laissé à l’appréciation du juge d’instruction (art. 428 du CPP), il est doté d’une force probatoire qui n’est égalée que par l’ADN.
Or, les faux aveux sont responsables de 15 à 25% des condamnations aux Etats-Unis, et ont engendré de célèbres affaires en France comme celles de Patrick DILS, d’Omar RADDAD, ou encore de Marc MACHIN.
17% des interrogatoires se déroulent minuit et 8 heures du matin. Selon l’étude intitulée « Le problèmes des faux aveux dans un monde post-ADN »1, la majorité des fausses confessions est obtenue pendant les interrogatoires qui excèdent 12 heures, et davantage pendant ceux qui durent 24 heures.
Ne pas échapper à tout prix
L’expérience 2, menée par les professeurs Kimberly FENN et Elizabeth LOFTUS, dont les résultats ont été publié la semaine dernière, est éloquente.
88 participants se sont vus assigner des tâches informatiques triviales pendant trois sessions étalées sur une semaine.
A chaque début de session, on leur répétait que de ne pas appuyer sur la touche « échappement » sous peine de causer la perte de toutes les données de l’étude en cours.
Afin de dissuader les volontaires qui auraient pu être tentés d’appuyer sur la touche interdite, un membre de l’équipe de recherche les surveillait pendant qu’ils effectuaient les tâches informatiques,
expliquent les chercheurs.
A la deuxième session, la moitié des participants ont pu bénéficier de 8 heures de sommeil, tandis que l’autre moitié a dû rester travailler toute la nuit.
Le lendemain, il fut demandé aux participants de signer une déclaration écrite, résumant le travail informatique qu’ils avaient effectué et les accusant à tort d’avoir appuyé sur la fameuse touche interdite d’échappement, lors de leur première visite au laboratoire.
Nous reconnaissons que ce scénario peut sembler très différent de la situation qu’un suspect peut affronter dans une salle d’interrogatoire,
soulignent les auteurs de l’étude.
Néanmoins, dans la mesure où cela implique les mêmes processus psychologiques, que ce soient dans les études menées dans le laboratoire et les interrogatoires réels, nos conclusions ont des conséquences importantes pour les politiques et procédures liées aux interrogatoires, particulièrement celles impliquant des suspects innocents.
Lorsque l’épuisement l’emporte sur la raison
- Les sujets souffrant d’un manque de sommeil étaient 4.5 fois plus enclins à signer cette fausse confession : 50% d’entre eux se sont pliés à la demande des chercheurs et ont signé cette confession, tandis que seulement 18% des sujets reposés ont admis cette faute fictive.
- Les participants plus volontaires, n’ayant pas dormi la veille et qui avaient résisté à la première demande, se sont avérés 3.4 fois plus susceptibles de signer ces aveux lorsque sollicités une deuxième fois, faisant grimper le total des sujets ayant signé malgré leur totale innocence à 68.2%, tandis que le total des « reposés » ne grimpe qu’à 38.6%.
Beaucoup de tâches cognitives sont altérées par le manque de sommeil,
déclare le professeur LOFTUS,
Le temps de réaction, le jugement, et la résolution de problème, par exemple.
Malgré la différence d’enjeux liés à la pression de la touche d’échappement et une accusation de meurtre, pouvant se traduire par une lourde peine de prison, cette expérience reproduit à l’identique un microcosme des pressions en action lors d’un authentique interrogatoire, qui s’articule autour de la soumission, la suggestibilité et l’impulsivité.
Associer le manque de sommeil à des techniques d’interrogatoire psychologiquement imparables, et les faux aveux pleuvent.
- Leo, Richard A. and Drizin, Steven A., The Problem of False Confessions in the Post-DNA World. North Carolina Law Review, Vol. 82, 2004. Available at SSRN: http://ssrn.com/abstract=1134094. ↩
- Steven J. Frenda, Shari R. Berkowitz, Elizabeth F. Loftus, and Kimberly M. Fenn
Sleep deprivation and false confessions
PNAS 2016 : 1521518113v1-201521518. ↩