UN ARTISTE INSOLITE

Un artiste qui transforme les souvenirs des témoins en preuve

Le Détective Greg BEAN   est l’un des 35 artistes médico-légaux qui réalise des portraits-robots pour la police de Bellevue, Washington.Il se base sur le souvenir des victimes et trace à l’aide d’outils informatique des croquis de suspect.

Un artiste d’un genre particulier : le portraitiste judiciaire

Son dernier portrait robot était celui d’un suspect recherché pour plusieurs viols commis entre juin et septembre 2012 à Bellevue. Le dessin, réalisé informatiquement, a mené les enquêteurs sur la piste d’un avocat de Seattle, qui  fut donc condamné pour viols.

Personne ne peut être plus surpris que le Détective BEAN, qui tout au long de sa vie, n’a jamais été capable de dessiner.

Je n’ai jamais eu de fibre artistique

déclare-t-il

Je n’ai pas pris de cours de dessin au lycée. Le dernier cours artistique que j’ai suivi remonte au collège, et je m’étais juré de ne jamais en prendre tellement j’ai été humilié.

BEAN a commencé en tant qu’agent de patrouille en 1993, puis six ans plus tard, le chef de la police lui a mis dans les mains un programme informatique afin de réaliser des portraits robot de suspects.

BEAN qualifiera ce logiciel de programme

super sophistiqué du type  Monsieur Patate. Personne dans le commissariat ne savait vraiment s’en servir, ni n’avait eu la curiosité de s’asseoir avec un portraitiste judiciaire et s’intéresser aux méthodes qu’ils utilisent pour extraire des informations visuelles.

Son lieutenant lui a alors ordonné de suivre une semaine de stage dans une école d’art, où il apprit davantage les techniques d’interrogatoire que le dessin.

Son premier croquis  fut unidimensionnel, les cheveux ressemblaient à un tas de spaghettis empilés sur la tête. On aurait pu pensé que c’était l’œuvre d’un enfant. Son professeur lui signifia alors qu’elle n’allait pas lui apprendre à dessiner, mais plutôt à voir.

BEAN comprit alors que l’art commence dans l’esprit, non dans la main. Quelques semaines plus tard, il commença à remarquer les ombres, les singularités et les plus infimes détails des visages autour de lui : cette ride si particulière, par exemple, qui caractérise ceux d’entre nous qui dorment du côté droit.

Chaque témoin, chaque victime a visualisé bien plus de détails qu’il ne pense sur le visage qu’il décrit. La preuve est dans leur mémoire.

Ils ont vu le suspect et ils ne réalisent pas que cette image est gravée dans leur mémoire. J’essaie d’esquisser une représentation la plus précise possible, en espérant que cela mène à une arrestation et à des poursuites judiciaires.

L’entretien cognitif  : une audition révélatrice

Il est difficile d’isoler les caractéristiques physiques d’un individu : la représentation que nous en avons est globale. BRUCE, SMITH, et HANCOCK ont élaboré en 2008 une nouvelle technique de recueil d’informations : l’entretien cognitif historique  ¹.

Il s’agit d’optimiser la qualité des informations, en améliorant le rappel des souvenirs. Cette technique se décline en trois temps :

• on amène le témoin à décrire le visage librement.

L’écoute est active tout en limitant son influence sur la personne auditionnée. L’interviewer fait preuve d’empathie, laisse parler le sujet librement, sans interruption, en réponse à des questions ouvertes. Ces questions doivent tout d’abord être neutres, positives, simples, ouvertes dans un premier temps puis fermées. Il doit amener le sujet à se dépasser.

• on associe les traits au visage décrit
• on conduit le sujet à émettre un jugement sur le caractère du visage décrit : amical, distinctif, agressif, …

Cette méthode mise sur le rappel libre et spontané. Ainsi, les rappels sont plus exacts que si l’information est obtenue par des questions. L’information est plus accessible et la remémoration est plus détaillée. L’entretien cognitif historique est déjà intégré à la formation des policiers en Angleterre, et il permettrait d’obtenir jusqu’à 40% plus d’informations que les interrogatoires conventionnels, certains diront même jusqu’à 100%.

Les artistes médico-légaux maintiennent que rien ne viendra remplacer le bloc et le crayon : l’artiste est plus flexible qu’un logiciel, et le témoin plus détendu. Certes, le dessin demande une connaissance parfaite des muscles du visage qui interviennent notamment dans les expressions émotives, et qui définissent la mobilité des traits.

Lorsque l’informatique s’en mêle

Les portraitistes ont toute une gamme de logiciels à leur service : FACES aux Etats-Unis et au  Canada, EFit en Europe.

Ces logiciels mettent à la disposition des portraitistes une base de données des différentes parties du visage et des accessoires permettant de retoucher le portrait à l’aide d’une palette graphique.

Artnatomy est une plateforme mise en ligne  gratuitement . Elle vous permettra de mesurer à la fois la convivialité d’un tel logiciel, mais aussi l’ampleur de la tâche.

Quant au Détective BEAN, Corel Painter lui a permis de réaliser avec succès le portraits des 8 derniers suspects, dont celui de Danford GRANT. Ses croquis réalisés au crayon sont époustouflants de précision.Les détails sont

d’ordre photographiques.  On découvre dans son book des peintures de sa femme, des membres de sa famille, et des collègues de travail

Si on m’avait dit, il y a 15 ans, que je peindrais des portraits, je vous aurais ri au nez. Qui aurait su ? Vous ne savez pas ce que vous avez à l’intérieur de vous.