Et si I-Robot vous interrogeait ?
La mémoire est une chose bien mystérieuse. L’effet de fausse information altère grandement un témoignage, ce qui reste un problème majeur pour la police alors qu’elle tente de rassembler les informations les plus précises possibles. Un témoignage exhaustif et exact est un facteur déterminant pour la réussite d’une enquête. Mais les récits obtenus sont généralement incomplets et truffés d’erreurs. Il y aurait un moyen de contourner ce problème : un robot qui poserait les questions.
Effets trompeurs
L’effet de fausse information, également connu sous le nom d’effet de l’information nouvelle erronée, ou effet de l’information post-événementielle, peut entraîner chez un témoin l’intégration dans ses souvenirs d’informations erronées qui lui ont été communiquées après l’événement auquel il a assisté.
Une étude 1publiée par le Journal of Experimental Psychology révèle que de nombreux témoignages devraient être remis en cause dans de multiples affaires. En effet, un témoin, testé sur l’événement auquel il a pu assister 
immédiatement après est plus susceptible de se « souvenir » de fausses informations, ou d’informations tronquées qui lui sont distillées à ce moment précis: c’est ce que l’on appelle « la suggestibilité par récupération améliorée ». Les témoins se souviennent avec beaucoup plus de précision les faits tout de suite après l’événement, mais s’ils sont soumis à ce moment précis à des informations erronées, ils les intègreront plus facilement dans leur compte rendu initial. Et les sources de désinformation ne manquent pas : réseaux sociaux, télévision, journaux,…
Le souvenir original n’est pas remplacé par les faux souvenirs, les vrais et faux souvenirs induits cohabitent. La mémoire est à l’image d’un réseau, constitué de concepts reliés entre eux. Afin d’activer le vrai souvenir, il suffit appeler le concept auquel il est rattaché.
Les mots induisent également de faux témoignages. Le témoin éprouve généralement beaucoup de difficulté à estimer la vitesse d’un véhicule et la durée d’un événement. Une étude 2a démontré que le choix des mots est essentiel. En effet, un pôle d’individus a visionné une vidéo montrant un accident de voiture. En réponse à la question : « à quelle vitesse roulait la voiture », les estimations varient selon les termes employés pour décrire l’accident :
- lorsqu’elle a été fracassée : 65 km/h
- lorsqu’elle est rentrée en collision : 63km/h
- lorsqu’elle a cogné l’autre véhicule : 61 km/h
- lorsqu’elle a heurté l’autre véhicule : 55km/h
- lorsqu’elle est rentrée au contact de l’autre véhicule : 51km/h
La forme de la question, dans ce cas le choix du verbe, peut influencer la réponse.
NAO et Magicien d’Oz
Cindy BETHEL et son équipe de la Mississippi State University ont procédé à un test particulièrement révélateur. Ils ont montré à 100 « témoins » un diaporama mettant en scène un homme qui s’était introduit sous le prétexte
de réparer une chaise, volant de l’argent ainsi qu’une calculatrice dans un tiroir,.
Les témoins furent alors séparés en quatre groupes, puis questionnés sur ce qu’ils venaient de voir, soit par une personne soir par un petit NAO, contrôlé par une personne humaine à la façon «
Magicien d’Oz ».
Loin d’être aussi expressif que I-Robot, le NAO est néanmoins un robot humanoïde autonome, programmable, qui ne mesure que 58 cm pour 4.8 kg, développé par une société française. Il est équipé
d’un micro-processeur de type ATOM 1.6Ghz, de deux caméras et de 4 microphones, et fonctionne avec les systèmes d’exploitation Windows, Mac Os et Linux.
Il possède également des capteurs interactifs sur le dessus de la tête, sur les mains mais aussi deux capteurs de contact sur l’avant des pieds.
L’expérience connue sous le nom de « Magicien d’Oz » s’inscrit dans le champ de la robotique cognitive. Un opérateur, caché, contrôle le robot. Il utilise les capteurs de mouvement à distance, rattachés à ses mains, et un microphone qui transmettra les phrases au robot qu’il synthétisera : il s’agit d’une interaction parfaite entre un homme et un robot. Les témoins restent convaincus que le NAO est autonome.
Deux groupes furent interrogés de la même façon, suivant le même script. Les questions étaient strictement identiques, et assorties de fausses informations sur le délit auquel ils venaient d’assister. Des objets, qui ne figuraient pas sur le diaporama, furent évoqués.
Deux autres groupes subirent un interrogatoire mais sans fausses informations.
Lorsque les questions furent posées par les personnes humaines, la précision des souvenirs du premier groupe a chuté de 40% (ce groupe de témoins se souvenait d’objets qui n’avaient jamais été là) comparée au groupe qui n’avait reçu aucune information erronée.
Cependant, le groupe interrogé par le NAO n’a pas été affecté par les fausses informations distillées : ces informations sont restées sans effet sur la précision des témoignages.
Cela a été une grande surprise,
déclare Cindy BETHEL
Ils n’ont tout simplement pas été affectés par ce que leur disait le robot. Les scripts étaient identiques. Nous avons même donné comme instruction aux interrogateurs humains d’être le plus « robotique » possible.
La mémoire est malléable. Les enfants sont particulièrement sujet à la suggestibilité. Le but ultime de Cindy BETHEL est de développer l’utilisation de robots pour recueillir les témoignages d’enfants, très sensibles au langage corporel.
Les résultats de cette étude a été présentée début mars 2013 à la 8ème Conférence Internationale sur l’Interaction Humain-Robot à Tokyo.
- Paradoxical effects of testing : Retrieval enhances both accurate recall and suggestibility in eyewitnesses. By Chan, Jason C. K. ; Langley, Moses M. Journal of Experimental Psychology : Learning, Memory, and Cognition. ↩
- JOURNAL OF VERBAL LEARNING AND VERBAL BEHAVIOR 13, 585-589 (1974),Reconstruction of Automobile Destruction : An Example of the Interaction Between Language and Memory’ , ELIZABETH F. LOFTUS AND JOHN C. PALMER University of Washington. ↩
