En présentant une photo de scène de crime, Daniel ATTINGER s’inquiète :
La vue du sang vous dérange-t-elle ?
La photo révèle des flaques de sang sur le sol et des gouttes sur le mur. Seule une chaussure laissée sur la scène témoigne de la présence d’un cadavre.
Le sang interprété
Vous pouvez constater qu’à cet endroit, le sang a commencé à sécher, déclare ATTINGER, professeur agrégé de génie mécanique à l’Université d’Etat de l’Iowa. Les traces de forme elliptiques sont orientées vers les flaques. Les traces de sang sur le mur indiquent l’origine des éclaboussures de sang.
En examinant les traces de sang, on peut alors :
- reconstituer les faits qui se sont produits
- déduire le type d’arme utilisée (une arme à feu produira un brouillard de gouttelettes tandis qu’une arme contondante donnera naissance à des tâches de sang plus larges)
- localiser les blessures infligées, celles qui sont à l’origine des projections
- la position de la victime et de l’auteur
Ainsi, on pourra vérifier la compatibilité des témoignages et leur cohérence.
Le degré de séchage des traces reste un indice précieux permettant d’estimer l’heure du crime.
La morpho-analyse des traces de sang a été déterminante dans le procès d’Oscar PISTORIUS, le coureur amputé des deux jambes qui a participé aux Jeux Olympiques en Afrique du Sud et qui est accusé d’avoir assassiné sa femme, en février dernier.
Cependant, la morpho-analyse nécessite une approche beaucoup plus scientifique.
Entre interprétation et extrapolation
Des études scientifiques corroborent certaines analyses et interprétations faites aujourd’hui. On peut effectivement établir si le sang a été projeté rapidement, ou s’il s’est écoulé lentement, mais de nombreux experts extrapolent bien au-delà de ce qui est transposable.
Bien que la trajectoire d’une balle soit linéaire, les dommages causés aux tissus mous ainsi que les schémas complexes que décrivent les fluides lorsqu’ils sont expulsés d’une blessure sont particulièrement variables.
Bénéficiant d’une bourse de recherches, d’un montant de 632000 $ accordée par le Ministère de la Justice, ATTINGER a réuni un pôle de scientifiques aux spécialités variées afin de lever certaines incertitudes dans l’analyse des traces de sang.
ATTINGER a étudié au long de sa carrière scientifique, la forme et la déformation des gouttes d’encre issues de jets d’encre, l’évaporation de gouttelettes sur une surface solide, et même l’identification de tâches de vin à l’aide d’algorithmes complexes de reconnaissance de formes. Son domaine d’expertise couvre les micro- fluides multiphases, qui comprend l’étude de la dynamique des fluides, les transferts de chaleur et de masse.
A travers toutes ses expériences, ATTINGER présente un CV de choix.
J’ai développé une compétence unique dans la dynamique des fluides, la génèse des gouttes, leur déplacement dans l’air, leur impact et leur séchage sur surface. J’observe tous ces phénomènes et tente de les expliquer.
En un mois, ATTINGER a rassemblé une jolie brochette d’éminents scientifiques :
- Shih Fu CHANG, professeur d’électrotechnique et d’informatique et vice-doyen de l’Université de Columbia, New-York
- Adam DONALDSON, professeur agrégé en génie chimique, spécialisé dans l’analyse numérique de la dynamique des fluides à l’Université Dalhousie d’Halifax,Canada
- Craig MOORE, agent détective appartenant à la Police Régionale de l’Ontario, morpho-analyste des traces de sang.
- Howard STONE, professeur de génie mécanique et d’aérospatial à l’Université de Princeton.
Cette équipe s’est rassemblée afin d’analyser les phénomènes physiques qui se jouent lors de l’impact et le séchage de gouttes de sang. Elle ambitionne également la mise au point d’appareils portatifs permettant aux techniciens de scène de crime d’analyser et d’interpréter les tâches de sang.
Le but de nos recherches est de rendre la science forensique davantage basée sur les principes de la dynamique des fluides,
explique ATTINGER.
Le sang : un fluide comme les autres ?
A l’intérieur du laboratoire, on peut voir une goutte de sang de cheval perler à l’extrémité d’un tube très fin. Sous l’action d’un bouton cette goutte est atomisée dans un spray qui projette des gouttelettes à travers les airs, puis se déposent sur une feuille de papier blanc. Une caméra ultrarapide pouvant capturer jusqu’à 100 000 images par seconde enregistre le processus.
Les gouttelettes qui se sont déposées sur le papier ont formé des tâches qui sont alors analysées afin de comprendre la trajectoire des gouttelettes dans les airs.
Reconstruire la trajectoire courbe des gouttelettes est un véritable défi,
commente ATTINGER
Cela fait 25 ans que ce problème a été abordé. C’est très compliqué. Personne n’a encore trouvé la solution.
L’équipe de chercheurs a construit un plus gros instrument qui fera claquer un piston dans une tâche de sang, afin d’obtenir des éclaboussures. Les données générées par cet instrument aideront à la compréhension des tâches de sang issues de coups.
Ces scientifiques travaillent également à l’élaboration d’un appareil de mesures en 3D pouvant mesurer l’épaisseur d’une tâche de sang, ce qui aiderait les enquêteurs à établir d’une façon plus précise le point d’origine du sang en estimant la vélocité de l’impact.
J’ai toujours voulu démonter aux gens à quel point les ingénieurs peuvent les aider dans leur vie et contribuer à l’amélioration de la société. J’ai toujours essayé de trouver des projets qui étaient utiles à la communauté. Je pense que les ingénieurs peuvent largement contribuer à faire de ce monde un lieu meilleur.