RECETTE DE L’ERREUR JUDICIAIRE
RECETTE DE L’ERREUR JUDICIAIRE

RECETTE DE L’ERREUR JUDICIAIRE

Ou comment éviter de condamner à tort ?

Pourquoi des innocents sont-ils condamnés pour des crimes violents qu’ils n’ont pas commis ? N’est-ce pas le comble de la « justice » ? L’organisme gouvernemental le National Institute of Justice a financé une  recherche de trois ans, afin d’apprendre de ses erreurs.

Un feedback nécessaire du système judiciaire

Jon Gould, professeur et directeur du Washington Institute for Public and International Affairs Reseach à l’American University, a mené une étude empirique à grande échelle, jusqu’alors jamais réalisée, sur les erreurs judiciaires. En utilisant des méthodes socio- scientifiques, 10 facteurs  significatifs ont été identifiés comme source d’erreur judiciaire. Ces facteurs représentent la frontière qui existe entre une condamnation à tort et une « quasi-condamnation » (le cas dans lequel l’accusé est acquitté et voit les charges abandonnées avant son procès).

Jon GOULD Directeur de l’étude menée pour le NIJ
Jon GOULD
Directeur de l’étude menée pour le NIJ

Curieusement, contrairement lors un crash aérien ou lors d’une « presque » collision en plein vol, circonstances qui amènent la fédération des Transports à enquêter  et à retracer les événements afin d’éviter de futures catastrophes, les erreurs judiciaires n’ont jamais été étudiées, sinon de façon isolée,

s’étonne GOULD

C’est d’autant plus étonnant que notre système judiciaire impose de déclarer l’accusé coupable hors de tout doute raisonnable avant de l’emmener en prison.

Et pourtant, il s’agit d’une question de vie ou de mort : les enjeux en valent la peine. Comment un jury peut-il condamner un accusé qui est factuellement  innocent ? Cette étude vise à comprendre comment le système judiciaire peut parvenir à identifier ces innocents de fait et d’éviter leur condamnation.

Les 10 facteurs potentiellement aggravants

GOULD et son équipe ont identifié ces 10 facteurs comme étant, dans 91% des cas, ce qui fera la différence entre une condamnation et une « quasi-condamnation :

1.       La culture de la peine de mort et les réponses punitives de l’Etat dans lequel se déroule le procès

2.       La solidité des preuves de l’accusation

3.       La rétention de preuves disculpatoires par l’accusation (violation de la loi Brady)

4.       Les erreurs d’analyses criminalistiques et/ou médico-légales

5.       La solidité des preuves à décharge de la défense

6.       L’âge de l’accusé

7.       Identification volontairement ou involontairement  erronée de l’accusé par un témoin oculaire

8.       Mensonges de témoins autres qu’oculaires

9.       Antécédents judiciaires de l’accusé

10.    Témoin de la famille témoignant pour le compte de l’accusé

 

2012-12-20T192642Z_1_APAE8BJ1I0K00_RTROPTP_3_OFRTP-FRANCE-JUSTICE-MACHIN-20121220-300x200Tout est question de prévention : au poste de police, lors des interrogatoires, le chemin d’un accusé est cependant  pavé d’opportunités d’être identifié comme étant innocent.

Avec des résultats de tests criminalistiques disponibles plus tôt, on pourrait alors éviter ce que GOULD appelle « l’ouragan parfait » : des identifications incorrectes, l’absence de résultats de tests et d’analyses médico-légales, et l’enquête insuffisante et inappropriée sur les alibis. Cet effet d’ouragan est accentué par la  « vision étroite et bornée » collective.

La combinaison aléatoire de ces facteurs concoure à une vision étroite d’un procureur doté d’une affaire fragile, qui au lieu de chercher un autre suspect, va se concentrer sur l’accusé. Dans cette vision tronquée et bornée, un seul petit fait va attirer toute l’attention de la police et du

Rob SCHEHR, Directeur d’Innocent Project
Rob SCHEHR, Directeur d’Innocent Project

procureur. Robert SCHEHR, directeur d’Innocence Project 1, professeur de criminologie et droit pénal, confirme que

Dans 70% des erreurs, il y avait une mauvaise identification de la part des témoins. Ainsi, les enquêteurs et le procureur s’attachent démesurément à cette donnée de départ et sont incapables de voir combien leur affaire est fragile. Cela montre que le « parfait ouragan » des erreurs combinées ensemble peuvent mener à des condamnations à tort.

explique GOULD

Plus vous avez de ces 10 facteurs présents dans une affaire, plus vous avez de chance d’assister à une erreur judiciaire. En définitive, GOULD s’attendait à voir des affaires bien ficelées mener à des erreurs mais au contraire, ce sont les affaires qui sont fragiles qui sont source d’erreurs.

Une étude 2 menée par le Professeur Martin ZALMAN, prédit un nombre d’erreurs judiciaires compris entre 5000 et 10000 par an aux Etats Unis.

Qui sont ces malchanceux ?

innoce

Selon Innocence Project, en 25 ans,  303 condamnés ont été exonérés après des analyses ADN. Parmi ces accusés :

·         18 attendaient leur exécution dans le couloir de la mort.

·         Leur âge moyen est de 27 ans.

·         la moyenne des années de prison effectuées est de 13.6 ans.

·         188 d’entre eux sont d’origine afro-américaine

·         86 sont d’origine caucasienne

·         21 sont d’origine latine

·         2 sont d’origine asiatique

·         6 sont d’origine inconnue

 

Innocent Project à la française

François SAINT PIERRE Fondateur d’Innocence Project France
François SAINT PIERRE Fondateur d’Innocence Project France
Sylvain CORMIER Co-Fondateur d’Innocence Project France
Sylvain CORMIER Co-Fondateur d’Innocence Project France

Le 11 janvier 2013, Sylvain CORNIER et François SAINT PIERRE, deux pénalistes des Assises du Rhône ont fondé à Lyon « Innocent Project France ».

Le recours aux analyses ADN ne sera pas aussi développé car si la loi autorise une révision d’un procès jugé plus de dix auparavant, il est peu probable que les scellés soient correctement conservés comme le souligne Maître SAINT PIERRE :

Vous ne trouverez pas ceux d’il y a dix ans ! C’est pourquoi il vous faudra aussi être une force de proposition. Une loi exigeant la conservation des scellés dans les cas où il y a un doute serait une priorité absolue.

L’équipe d’Innocence Project France est composée d’une armée d’étudiants en droit de la Faculté Lyon III avec laquelle l’organisme a développé un partenariat, d’un enquêteur de la section de recherche de gendarmerie et d’un expert médico-légal.

Ingrédients de l’erreur judiciaire en France

  • un fait judiciaire qui marque l’opinion publique par sa cruauté et qui par conséquent entraîne une pression sur l’enquête
  • un coupable tardivement identifié
  • accumulation de petites erreurs dans l’enquête
  • mensonges bénins de la part de l’accusé, n’ayant pas de lien direct avec le crime
  • un magistrat peu expérimenté

Profil de l’accusé à tort

  • Personnage faible
  • Personnage aux mœurs étranges, peu avenant aux yeux de l’opinion publique
  • Personnage ayant quelques petites choses n’ayant aucun rapport avec l’affaire  à se reprocher : l’accusé n’est pas de moralité ou de mœurs irréprochables

Le terme « erreur judiciaire » n’existe pas dans le droit français. On parlera  « d’annulation de condamnation ».

Une erreur judiciaire est toujours un chef d’œuvre de cohérence 3

  1. Innocence Project est un organisme à but non lucratif qui vise à démontrer l’innocence de personnes condamnées à tort. Intégré au cursus universitaire d’universités partenaires, chaque étudiant doit travailler 8 heures par semaine pour cet organisme.
  2. Etude publiée dans le Criminal Law Bulletin , Volume 48, Number 2, en langue anglaise  à consulter sur : http://globalwrong.files.wordpress.com/2012/04/qual-estimate-zal-clb-2012.pdf.
  3. Extrait de « Monsieur Mallausène », de Daniel PENNAC.

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