Dans la guerre les opposant aux narco-trafiquants, les procureurs colombiens ont aujourd’hui un nouvel outil d’investigation à leur disposition : l’analyse de réseaux.
Cela doit faire partie intégrale de la guerre moderne que l’on mène contre les cartels,
déclare Eduardo SALCEDO ALBARAN, directeur de Vortex Foundation à Bogota.
Les algorithmes lèvent le voile sur les relations obscures : les betweeners
Vortex utilise des algorithmes appliqués à l’analyse de réseaux pour expliquer à la cour les différentes interactions entre les membres de cartels, les gouverneurs et les policiers. Cela permet de révéler des liens qui ne pourraient être visibles d’aucune autre façon. Ces liens, que SALCEDO ALBARAN nomme «betweeners » (entre deux) relient entre elles des personnes qui n’ont pas de relation véritablement établies mais qui servent de « ponts » entre deux groupes. Au Mexique, tout comme en Colombie, ces « intermédiaires » sont souvent des membres des forces de l’ordre ou des gouverneurs payés par les cartels.
Le « betweener est par définition le gars qui relie l’illégal au légal
explique SALCEDO ALBARAN,
Dans la mesure où la prospérité de nombreux cartels dépend des liens étroits qu’ils entretiennent avec la loi, retirer ces intermédiaires pourraient anéantir leurs opérations.
Un pays sous tutelle
Le Mexique reconnait abriter 233 « zones d’impunité ». Dans ces zones, les cartels opèrent librement : il s’agit d’un état dans l’état. Ils lèvent des impôts, organisent des barrages routiers, imposent leur code de conduite créant un ordre social à leur image.
Appliquant une stratégie de corruption et d’intimidation (« plata o plomo » : de l’argent ou du plomb) ; ce sont eux qui décident qui mettre en fonction et la limite de ses prérogatives. En 2010, un rapport fut remis au Sénat
mexicain révélant que 195 municipalités (8%) étaient totalement sous le contrôle des cartels, tandis que 1526 (63%) étaient « infiltrées ».
C’est une stratégie tout à fait sensée,
précise Michael KENNEY, Professeur Agrégé des Affaires internationales à L’Université de Pittsburgh (Pennsylvanie),
Bien qu’il ne soit pas souhaitable que ce soit la seule méthode utilisée par le gouvernement.
La stratégie à adopter dépend des objectifs à atteindre. Si le gouvernement vise la fin du trafic de drogue, éliminer les chefs pourrait fonctionner.
renchérit Vanda FELBAB-BROWN, Agrégée Supérieure en Recherches et Chargée d’Etudes sur les conflits internes et internationaux, ses domaines d’expertise étant les opérations anti-insurrectionnelles, le crime organisé et les économies souterraines.
Mais si le but est de réduire la violence, comme le Président Enrique PEŇA NIETO s’est engagé à faire, viser les caïds comme LAZCANO aura un effet opposé. De plus petites organisations émergeront du cartel éclaté, et elles auront recours aux meurtres et à la torture afin d’asseoir leur pouvoir.
Combattre ces factions nécessiterait une plus grande puissance de feu et ne ferait que prolonger et accentuer la violence.
Les chiffres relatifs aux violences liées aux cartels le confirment. Avant 2006, année à partir de laquelle le gouvernement a entrepris des opérations policières et militaires d’envergure, le nombre de victimes lié au trafic de drogue s’élevaient à 3600 par an. En 2011, on dépassait les 16 000 morts.
Les gens disent que la violence au Mexique va s’intensifier avant de s’éteindre, et que les cartels sont en fin de vie, mais ces prédictions ont cours depuis des années.
affirme Michael KENNEY
A un moment donné, une approche plus mathématique doit prévaloir.
Résilience = Vulnérabilité + Elasticité + Flexibilité
Les cartels ont trois particularités qui leur permettent de rebondir après chaque tentative d’éradication : un haut degré de résilience dû à une vulnérabilité toute relative, une élasticité à toute épreuve, et à une grande flexibilité.
Martin BOUCHARD 1 définit la résilience du marché du trafic de drogue comme étant
La capacité des acteurs de préserver le niveau d’échange entre acheteurs et vendeurs, et ce malgré une pression extérieure visant à déstabiliser ces échanges.
- La vulnérabilité décrit l’exposition potentielle aux attaques et la capacité de s’y soustraire.
- L’élasticité dénote l’aptitude à rebondir après « un choc extérieur »en remplaçant les parties endommagées (le « personnel » ou les cargaisons de drogues saisies)
- La flexibilité se réfère à la faculté d’adaptation : capable de changer leurs structures lorsque des arrangements préalables s’avèrent intenables. Les cartels ajustent leurs méthodes afin d’introduire illégalement de la drogue aux Etats-Unis en utilisant des tunnels, des avions, des mules traversant la frontière, ou encore des catapultes.
Les narco-trafiquants ne pourront être stoppés que s’ils subissent un choc d’une telle profondeur et d’une telle amplitude qu’ils ne pourront se relever.
- Auteur de « On the Resilience of Illegal Drug Markets », publié dans Global Crime, Vol 8, n°4, Novembre 2007. ↩