Entrez dans le monde de la criminalistique nucléaire
Des scientifiques s’efforcent de remonter aux sources de l’uranium volé afin de réduire, et pourquoi pas d’empêcher que des armes nucléaires tombent dans de mauvaises mains.
Y12 : de la bombe atomique à la protection
Au Complexe National de Sécurité (National Security Complex) à Oakridge (Tennessee), connu sous le nom d’Y12, ces chercheurs rassemblent patiemment des échantillons d’uranium d’origines diverses (France, Russie, Pakistan, Corée du Nord, …), pour la plupart d’entre eux issus de saisies, afin de constituer ce qu’ils espèrent être la plus grande bibliothèque radioactive. Le but de ce projet, lancé le printemps dernier, est de constituer l’équivalent d’une base de données d’empreintes digitales afin de permettre aux scientifiques de tracer les origines de matières nucléaires saisies sur le marché noir, ou utilisées lors d’une attaque. Ils serviront de base de référence et de comparaison.
Rappelons qu’Y12 est l’usine dans laquelle fut élaborée la bombe atomique, dans le cadre du projet Manhattan, lâchée sur Hiroshima et qui mit fin à la deuxième guerre mondiale.
Aujourd’hui, la mission d’Y12 est de sécuriser l’arsenal nucléaire et d’empêcher la prolifération des armes nucléaires. C’est donc naturellement dans cette usine que les Archives Nationales des Matières Nucléaires (National Uranium Materials Archives) sont abritées. Seulement une vingtaine d’échantillons ont été répertoriés : les archives nucléaires, connues également sous le nom de « Manhattan Project », n’en sont qu’au début de leur développement.
La signature de l’uranium
Ces archives nucléaires pourront aider à identifier la source de l’uranium, la centrale dont il est issu voire le réacteur dont il provient. En
effet, l’uranium enrichi porte de nombreuses signatures qui sont associées à son traitement : ses impuretés, son âge, le taux de concentration d’isotopes radioactifs …
Le principe de base réside dans la lecture des « signatures » du matériau nucléaire. Nous analysons ces signatures afin d’en découvrir l’origine. Nous pratiquons le principe d’exclusion,
explique Klaus MAYER, Directeur du département de criminalistique nucléaire à l’Institute for Transuranium Elements, à Karlsruhe, en Allemagne.
Si le diamètre des pastilles est supérieur à telle ou telle mesure, on peut alors exclure une origine de réacteur de l’Europe de l’Ouest. Si l’enrichissement est supérieur à 5%, nous pouvons exclure que la matière nucléaire est destinée à un réacteur d’une centrale nucléaire. Nous essayons de réduire le champ d’application le plus précisément possible.
MAYER et son équipe ont aidé à l’identification d’échantillons de plus de 20 incidents d’origine nucléaire, notamment des cas de possession illégale de matières nucléaires.
Un trafic florissant et létal
Depuis 1993, on a comptabilisé 419 cas de vol ou trafic de matières nucléaires dans le monde, et la menace ne fait que grandir.
L’échantillon le plus radioactif saisi à ce jour est un échantillon de 100 milligrammes d’oxyde d’uranium enrichi à 99.999% d’uranium 235 !
Pour comparaison, l’uranium à l’état naturel n’est composé que de 0.7% d’uranium 235. Cet uranium doit être alors enrichi en U235 à concurrence de 3.5% à 5% pour servir de combustible dans un réacteur de centrale nucléaire,
Tout enrichissement supérieur à 20% d’uranium 235, transforme cette matière en une arme potentielle : une arme nucléaire est chargée à 90% d’uranium 235.
Parallèlement au projet Manhattan, le gouvernement américain a lancé une bibliothèque similaire au Los Alamos National Laboratory à New Mexico, pour répertorier toutes les matières nucléaires autres que l’uranium, dont le plutonium.
Les pays trafiquants pourront être identifiés, et cela permettra sans doute de freiner la vente d’uranium ou de plutonium à des groupes terroristes, du moins cette initiative pourrait les faire hésiter.