Quand les tueurs en série deviennent prévisibles
Andreï CHiICKATILO, alias » l’Ogre de Rostov » ou encore « le Boucher de Rostov », a été un des tueurs en série les plus prolifiques de l’histoire. Il a tué et mutilé plus d’une cinquantaine de jeunes femmes et d’enfants entre 1978 et 1990 en Ukraine. Arrêté cette même année, il sera jugé puis exécuté d’une balle dans la nuque.
Mikhail SIMKIN et Vwani ROYCHOWDHURY, de l’Université de Californie à Los Angeles ont étudié son schéma comportemental afin de mieux comprendre les meurtres en série et d’en établir une logique.
Ces chercheurs ont alors établi un modèle mathématique, qui est une modélisation stochastique des tueurs en série.
L’escalier du diable
Ses passages à l’acte étaient irréguliers et imprévisibles : de longues périodes » inactives » étaient interrompues par plusieurs meurtres sur quelques jours. (Fig 1)
Le graphe obtenu est du type « escalier du diable » ou « escalier de Cantor ». L’escalier de Cantor est la fonction de répartition d’une variable aléatoire réelle continue qui n’est pas à densité.
- L’escalier de Chikatilo montre que le nombre de ses meurtres augmente avec le temps. Son premier meurtre fut commis le 22 décembre 1978, et son dernier meurtre le 20 octobre 90. L’intervalle le plus court entre les meurtres est de trois jours, et le plus long de 986 jours.
- L’étude ne tient pas compte des raisons concernant les deux plus longues pauses. La première arrestation de Chikatilo (soupçonné alors d’être le tueur), et la période où les médias ont commencé à communiquer sur l’enquête : ces raisons ne sont pas importantes. Ce qui est important c’est de pouvoir dégager un sens à des événements apparemment aléatoires.
Hasard ?
- Ces meurtres, a priori répartit sur une échelle logarithmique, apparaissent sur une ligne presque droite : cela indique qu’une loi de puissance est à l’oeuvre. (Fig 2).
- Dans leur étude « Pharmaco-resistant seizures : self-triggering capacity, scale- free properties and predictability ? » publiée en 2009, dans l’ « European Journal of Neuroscience« , Osario, Frei, Sornette, et Milton ont remarqué une distribution de loi de puissance identique des intervalles entre les crises d’épilepsie. Les auteurs de l’étude présentée dans cet article,SIMKIN et ROYCHOWDHURY, avaient alors établi une modélisation du réseau neural afin d’expliquer cette découverte. (M.V. Simkin et V.P Roychowdhury « An explanation of the distribution of inter-seizure intervals » Europhysics Letters 91 (2010)). Une fois le modèle mathématique achevé, ils ont effectué un rapprochement avec les données de Chikatilo : le résultat est surprenant !
Épilepsie et meurtres
- Cela peut sembler déraisonnable d’utiliser le même modèle pour décrire un épileptique et un tueur en série. Cependant, Lombroso a mis en évidence un lien entre épilepsie et psychose, il y a de cela bien longtemps. (C.Lombroso « L’homme criminel« 1876).
- L’exposant de la courbe et de 1,4, ce qui rejoint l’exposant de la courbe des crises elliptiques qui est de 1,5 (Fig 3).
- Les auteurs de l’étude se sont alors demandés si les meurtres correspondaient un modèle neurologique, et si comme pour l’épilepsie, les événements psychotiques ne survenaient que lorsqu’un nombre exceptionnellement grand de neurones tiraient ensemble.
- Les auteurs évoquent la possibilité de l’existence d’un seuil d’excitation au-delà duquel le tueur en série devient comme submergé d’une pulsion de tuer.
- Le tueur en série ne passera pas à l’acte systématiquement au moment où ce seuil est atteint ; il a besoin de temps afin de planifier et préparer son crime. Cette période de latence est inclue dans leur modèle. On constate également que le tueur en série commet ses crimes par bloc : le tueur est davantage susceptible de tuer juste après un meurtre. Cependant, les meurtres ont un effet sédatif sur le tueur, influant sur l’activité neuronale, qui passera alors en dessous du « seuil criminel », ce qui explique la durée espacée entre les meurtres.
- Les auteurs précisent que la correspondance des données seraient fortement améliorées s’ils avaient pris en considération le taux d’échec des meurtres. Si le meurtre ne se passe pas comme le tueur l’avait prévu, il risque de mener une autre tentative le lendemain.
Bluffant, n’est-ce pas ?