Denis SPITZER veut battre les chiens à leur propre jeu.
C’est dans le centre de recherches sur l’armement et la sécurité,1 en Alsace, que le Docteur Denis SPITZER et ses collègues travaillent sur un capteur capable de détecter les vapeurs de TNT mais aussi celles d’autres explosifs plus volatils -tels que le n-heptane, ou l’éthanol – à dose infinitésimales, comme celles qui pourraient émaner d’une bombe qui passerait les contrôles de sécurité d’un aéroport. L’utilisation d’un micro-levier en silicium recouvert d’une véritable forêt de nanotubes (500 000) encore plus petits en dioxyde de titane vise à la création d’un appareil qui pourrait compléter avantageusement, voire supplanter le meilleur détecteur mobile de bombe qui existe : les chiens de la brigade cynophile.
Mais émuler le nez et le cerveau d’un chien entrainé est une véritable gageure. Un appareil « renifleur de bombe » doit être extrêmement sensible et capable de générer un signal à partir d’une poignée de molécules. Il doit pouvoir distinguer un explosif d’un « bruit » émanant d’autres composés.
Alors que des scientifiques comme le Docteur SPITZER font des progrès considérables, lorsqu’il s’agit de la sensibilité et à la sélectivité, les chiens règnent en maîtres. D’ailleurs, il existe déjà des détecteurs de vapeurs sur le marché.
Les chiens sont formidables,
déclare Aimée Rose, directrice des ventes du capteur chez Flir systems, qui produit une ligne de détecteurs d’explosifs appelés Fido.
Le chien a une détection très sensible, similaire à notre résultat, mais il ne peut travailler qu’une heure par jour.
renchérit Denis SPITZER
Au-delà, son système sensoriel est saturé, alors que dorénavant, grâce à notre découverte nous pouvons détecter des explosifs en permanence, et le système peut être mis en place dans les aéroports ou sur les rails des trains.
Ils ont de loin la plus grande capacité à détecter des menaces cachées. Mais les chiens peuvent être facilement distraits. Ils ne peuvent pas travailler non-stop, et nécessitent un entraînement et un encadrement coûteux, c’est pourquoi il y a un véritable besoin d’un appareil.
Une méthode éprouvée mais limitée
La fine fleur des détecteurs sur le marché est celui de Flir Systems : portatif, il ne pèse qu’un kilo et demi, et est utilisé par les forces armées en complément de leurs brigades cynophiles. L’appareil utilise une technologie de polymère fluorescent (Amplifying Fluorescent Polymer : AFP), augmentant de ce fait la sensibilité de détection. En effet, les fines pellicules de polymères émettent une lumière visible lorsqu’ils sont exposés aux ultraviolets : les molécules du polymère émettent alors une lumière fluorescente. Les molécules de TNT étouffent cette fluorescence.
Les molécules d’explosif que capte le polymère lorsqu’il est excité par les ultra-violets entraînent une réaction physico-chimique qui stoppe l’émission de fluorescence. C’est en mesurant cette fluorescence que l’on détecte un explosif : une chute du signal lumineux indique la présence d’explosif. Une seule molécule de TNT peut absorber jusqu’à 10 000 molécules excitées du polymère. Le TNT est difficile à détecter car sa tension de vapeur saturante est très faible, de l’ordre de 13.7 ppb à 25°c.
A ce jour, aucun appareil, aussi sophistiqué soit-il, ne permet de capter les vapeurs de TNT avec certitude. Cela n’a cessé de stimuler la communauté scientifique. Responsable de plus de 15 000 morts par an, la TNT est l’explosif de prédilection des terroristes et le composant des mines anti-personnelles. Yushan Yan et ses collègues 2 ont mis au point un pré-concentrateur qui augmenterait le niveau de vapeurs de TNT, et de ses dérivés, de plus de 1000 fois en une minute. Ils ont alors conçu une « membrane – passoire » en zéolite capable de piéger les molécules d’explosif, obtenant ainsi une concentration suffisante pour permettre aux agents de sécurité, ou soldats de détecter un niveau jusqu’alors indétectable de matière explosive.
La bio inspiration : lorsque la nature nous donne des leçons
L’approche du Docteur SPITZER est radicalement différente, mais pas encore commercialisable. Elle s’inspire des capacités étonnantes du Bombyx du mûrier, autrement dit, la version adulte du ver à soie. Ce papillon de nuit
est doté d’antennes composées de brins d’un millimètre environ, sur lesquels sont placés un très grand nombre de sensiles, de taille micrométrique, liés aux neurones sensoriels. Cela lui permet de détecter à des kilomètres les phéromones de la femelle à des concentrations très faibles : seulement quelques molécules lui suffisent.
Aujourd’hui les appareils ne dépistent des concentrations de l’ordre de 1 ppb². Cet exploit reste insuffisant lorsqu’il s’agit d’assurer la sécurité d’un aéroport.
L’équipe de recherche du Docteur SPITZER, appartenant à l’unité « Nanomatériaux pour systèmes sous sollicitations extrêmes », a travaillé pendant quatre ans, à l’élaboration d’un dispositif semblable à celui du Bombyx du mûrier. Ce procédé est composé d’un micro-levier en silicium de 200 microns de long pour 30 de large, sur lequel 500 000 nanotubes en dioxyde de titane sont alignés. Cet agencement de nanotubes permet de multiplier par 100 la surface du micro-levier, augmentant d’autant la sensibilité des capteurs et la capture des odeurs. Les traces de TNT seront capturées et feront vibrer ces capteurs. En effet, le micro-levier a une fréquence de résonance qui lui est propre, et qui se modifie au gré de la capture de molécules d’explosifs.
Dix-huit mois de tests ont été nécessaires. La sensibilité de ce dispositif est de l’ordre de 800 ppq. Le seuil de détection s’en trouve amélioré d’un facteur 1000.
La prochaine étape sera d’améliorer la reconnaissance du produit capté par un traitement du nanotube qui reste encore à déterminer, afin de le rendre plus sélectif. Il serait possible alors de « configurer » le nanotube afin de capturer certains types d’explosifs exclusivement. La direction générale de l’armement cofinance avec la région ces recherches. Elle a investi 400 000 € et montre un grand intérêt dans les applications possibles. En poursuivent leurs recherches sur les matériaux énergétiques ou inertes sous forme de nanoparticules, ce procédé pourrait servir à détecter les traces infimes de substances explosives peu volatils (pentrite), toxiques (traces de polluants environnementaux), mais aussi illicites (drogues).
- Laboratoire mixte pour des applications duales : le NS3E. Ce laboratoire associe le CNRS et l’Institut franco-allemand de recherches de Saint Louis (ISL) ↩
- Rapport de Recherche paru : Jie Zhao et al., “Highly Selective Zeolite Membranes as Explosive Preconcentrators,” Analytical Chemistry 84, no. 15 (18 July 2012): 6303–07 (DOI: 10.1021/ac301359j). ↩