Story Highlights
- Le renseignement « Made in France »
- Motifs nébuleux laissant libre court à l’interprétation
- Secret professionnel : plus si secret
- Un contrôle inaccessible et tardif
- Déclinaison à l’international
- Les boîtes noires et IMSI Catcher: qui peut le plus peut le moins.
Le renseignement « Made in France »
Votée le 24 juillet dernier, entrée en vigueur le 3 octobre, la loi sur le renseignement n’a pas fini de soulever protestations et questionnements … Après les journalistes de la presse judiciaire, l’ordre des avocats a saisi la Cour Européenne des droits de l’homme.
Au lendemain du 11 septembre, les Etats-Unis avait adopté une loi autorisant une surveillance de masse, dénoncée par l’affaire Snowden. La loi sur le renseignement, approuvée à l’unanimité à l’Assemblée et validée par le Conseil Constitutionnel en juillet dernier, se veut être la réponse aux attentats de janvier 2015.
Selon les recommandations de l’Assemblée Nationale, cette loi doit
- définir un régime juridique global, cohérent et protecteur des libertés fondamentales pour les activités de renseignement,
mais être conforme à
- l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789,
mais ausssi à
- l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales,
- La légalisation de pratiques de surveillance jusqu’alors peu encadrées ne doit pas être l’occasion d’étendre à l’excès le périmètre de cette surveillance.
- Le droit à la protection des données à caractère personnel est un droit fondamental à part entière
Alors comment expliquer l’avalanche de protestations qui suivent l’adoption de cette loi sur le renseignement ?
Motifs nébuleux laissant libre court à l’interprétation
Art L801-1 : Le respect de la vie privée, dans toutes ses composantes, notamment le secret des correspondances, la protection des données personnelles et l’inviolabilité du domicile, est garanti par la loi.
L’autorité publique ne peut y porter atteinte que dans les seuls cas de nécessité d’intérêt public prévus par la loi, (…)
Les motifs :
- L’indépendance nationale, l’intégrité du territoire et la défense nationale ;
- Les intérêts majeurs de la politique étrangère, l’exécution des engagements européens et internationaux de la France et la prévention de toute forme d’ingérence étrangère ;
- Les intérêts économiques, industriels et scientifiques majeurs de la France ;
-
La prévention du terrorisme ;
- La prévention :
- Des atteintes à la forme républicaine des institutions ;
- Des actions tendant au maintien ou à la reconstitution de groupements dissous en application de l’article L. 212-1 ;
- Des violences collectives de nature à porter gravement atteinte à la paix publique ;
6. La prévention de la criminalité et de la délinquance organisées ;
7. La prévention de la prolifération des armes de destruction massive.
Ces motifs permettent la surveillance de manifestants et activistes de tous poils.
Secret professionnel : plus si secret
Jusqu’alors la loi française protège les magistrats, les avocats, les journalistes, et les parlementaires contre toute surveillance, et cela le temps effectif de leur mandat ou d’exercice de leur profession, sur le sol français.
Mais s’ils exercent leur profession à l’étranger : tout est permis. Ces professions ne sont plus protégées.
On ne peut déterminer la nature des données récoltées qu’à postériori : ainsi, il y a fort à parier que des données relevant du secret professionnel soient interceptées.
Aucune destruction instantanée de ces données « involontairement » récoltées n’est exigée.
D’autre part, si les mesures de surveillance ne doivent pas couvrir les échanges professionnels, elles peuvent s’appliquer aux boîtes mails personnelles.
Si un informateur contacte le dit journaliste sur sa boite privée, il sera pris dans les mailles du filet.
Comme le déclare l’APJ par sur leur site :
Cette loi porte atteinte aux droits et libertés des journalistes, dont le sacro-saint secret des sources. Le but moral de la presse judiciaire est de défendre les intérêts professionnels des journalistes judiciaires sur tout le territoire. L’ingérence secrète que prépare le gouvernement, par le biais d’écoutes téléphoniques ou de recueil en masse de données, aura pour conséquence d’affecter le droit à l’information de notre société démocratique. Les journalistes pourront être victimes de ces violations sans même qu’ils en soient informés puisque par nature cette surveillance et ces captations sont secrètes. Malgré l’aval constitutionnel de la loi, l’APJ ne peut et ne doit rester inerte devant un tel projet gouvernemental, quels que soient les objectifs affichés.
A l’instar des journalistes de la presse judiciaire, Maître Pierre-Olivier SÛR, bâtonnier de Paris, est inquiet :
La loi sur le renseignement est un texte qui représente à nos yeux un double mensonge d’État. En faisant croire qu’il s’agit de protéger la nation contre le terrorisme, alors que son spectre est infiniment plus large.
Un contrôle inaccessible et tardif
Une nouvelle commission a été créée pour l’occasion : la CNCTR. Composée de magistrats issus du Conseil d’Etat et de la Cour de Cassation, la CNCTR jugera de la juste proportionnalité des mesures de surveillance, sauf en cas d’urgence absolue, auquel cas seule l’autorisation du Premier Ministre fera loi.
Cette commission n’a pas à émettre d’avis préalable, mais se verra communiquer
toutes les autorisations.
En cas de dérapage, elle pourra émettre une recommandation au Premier Ministre, qui choisira de la suivre ou non. En cas « d’erreur de jugement » du Premier Ministre, la CNCTR pourra saisir le Conseil d’Etat.
Maître SÛR reste dubitatif quant au mécanisme de contrôle prévu par la loi :
(…) en garantissant son contrôle par un juge alors que le seul juge des libertés est le juge judiciaire et qu’en l’espèce, c’est le juge administratif qui a été choisi. Non pas le tribunal administratif, ou la cour d’appel, mais le Conseil d’État dont la saisine apparaît inaccessible, y compris aux professionnels du droit.
Déclinaison à l’international
Décidée par le Premier Ministre, la surveillance pourra viser des zones géographiques, des groupes d’individus ou encore des organisations hors du territoire national.
La procédure permettant de placer un individu sur écoute sera allégée lorsque l’un des protagonistes se trouvera à l’étranger, même s’il s’agit de conversations entre deux français, ou encore deux français échangeant sur une plateforme intermédiaire étrangère comme Skype, Facebook, Twitter …
Mais si par le plus grand des hasards, les échanges s’avèrent être entre deux français,
les communications sont instantanément détruites
cependant
Dispositions déclarées non conformes à la Constitution par la décision du Conseil constitutionnel n° 2015-713 DC du 23 juillet 2015.
Les boîtes noires et IMSI Catcher: qui peut le plus peut le moins.
Les boites noires consistent en un dispositif d’analyse automatique de données par champ lexical, dont l’algorithme serait contrôlé par la CNCTR. Cette recherche de menace terroriste automatisée nécessite l’implémentation de dispositifs de surveillance chez tous les Fournisseurs d’Accès Internet.
Si seules les données signalées par l’algorithme seront traitées humainement par des analystes, il n’empêche que la collecte reste massive. D’abord on récolte, et ensuite on trie : c’est précisément ce qui a été reproché à la NSA.
La CNIL était désireuse de contrôler cette collecte, car si les métadonnées sont dans un premier temps anonymes, cet anonymat peut être levé rapidement. Mais la CNIL a été écartée au profit de la CNCTR.
La clef de voute de ces dispositifs de surveillance est le « râtissage » large. L’utilisation d’IMSI Catcher devient légale.
Que dire de délais de conservation des données d’écoute et surveillance récoltées, sinon qu’ils ont été considérablement allongés par rapport au premier projet de loi. (Art. L. 822-2.-I.)
Suite aux plaintes déposées par l’ordre des avocats et l’association des journalistes judiciaire, ce sera donc au CEDH de déterminer si ces méthodes de surveillance sont proportionnelles à la violation de vie privée verdict dans deux ou trois ans.
Si les objectifs sont louables, quid des méthodes ?…
Et puisque des images valent 1000 mots, regardez ce petit documentaire du journal Le Monde qui résume à la perfection cette loi sur le renseignement qui n’a pas fini de faire couler de l’encre.